Nouveaux récits : quand les entreprises racontent le monde

Personne assise se couvrant la tête avec un livre sous une pluie de pages

Je suis génération désenchantée… N’en déplaise à Mylène (Farmer), c’est l'hymne que pourraient chanter de nombreux consommateurs aujourd’hui. Pour beaucoup, acheter est devenu un acte culpabilisant, qui nous pousse à réfléchir à notre empreinte carbone et notre impact. Ce qui était autrefois célébré comme une bonne affaire est aujourd’hui considéré comme un cadeau empoisonné. Les promotions dont on profite se font souvent au détriment des autres acteurs de la chaîne de valeur. Elles n’ont plus la même saveur, maintenant que nous sommes plus éduqués sur la société de consommation. Si ces informations sont indispensables pour acheter de manière éclairée, elles rendent plus complexes les prises de position des marques. D’où la nécessité aujourd’hui de faire émerger de nouveaux récits. 

Ces derniers doivent tenir compte des enjeux écologiques et sociaux auxquels nous faisons face. Mais aussi, rester capables de remettre un peu de paillettes dans nos vies…

Mais pour de nombreux marketeux, le concept même de nouveaux récits est une double injonction presque impossible à tenir. Un sorte de parcours d’équilibriste, qui se ferait en plus lancer des tomates à chaque faux pas. Bref - une voie pas très tentante, somme toute ! Mais cela veut-il pour autant dire qu’il ne faille pas essayer de s’approprier un storytelling réaliste et plus responsable ? S’enfermer dans le status quo n’a finalement pas grand chose de plus désirable. 

Plus important : la manière dont les marques racontent le monde à travers leurs publicités, contenus et communications est essentielle. En effet, elle influence directement la perception des individus et contribue à dessiner (consciemment ou non) le monde de demain… 

Autant dire que les marketeux et communicants portent aujourd’hui une lourde responsabilité ! Mais quand on parle de nouveaux récits, la notion prend vite des allures floues… Décryptage.

Sous la société de consommation, la plage : la bataille des imaginaires modernes

Après la crise sanitaire, les crises écologiques et sociales que traversent nos sociétés ont eu un impact considérable sur notre capacité à nous projeter dans l’avenir. La Gen Z est ainsi beaucoup moins à même que ses prédécesseuses d’imaginer le futur. Et encore moins de le préparer ! Notre imaginaire, lorsqu’il tourne, s’échappe plutôt vers le genre de la dystopie que vers l’utopie. Mais qui veut d’un avenir apocalyptique dans lequel l’humanité doit se battre pour sa survie ?

L'utopie n'a pas vraiment la cotte en ce moment...

Pourtant, c’est la vision communément acceptée et véhiculée de notre futur imaginaire. Et notre imaginaire est précisément ce qui constitue les fondements de notre culture. Collectivement, notre capacité à nous projeter, et à le faire avec confiance et optimisme, est indispensable pour vivre pleinement ensemble et former une société stable.

Or, actuellement, nos imaginaires et le storytelling en vigueur chez les marques ne sont plus alignés avec nos valeurs. Ce que nous projettent les entreprises et nos horizons de désirabilité participent activement à mettre en péril l'habitabilité de notre planète. Mais aussi, à creuser les écarts entre les populations qui produisent (souvent dans des conditions de travail catastrophiques) et celles qui consomment. 

Croissance illimitée vs décroissance : l’affrontement ultime dans les nouveaux récits

De tout temps, on a vu s’affronter deux (ou plusieurs) imaginaires possibles. Durant la dernière moitiée du 20e siècle, cette affrontement voyait principalement s’opposer le capitalisme et le communisme : deux visions diamétralement opposée de la manière dont nous devrions structurer nos économies et nos sociétés. 

Or, ces batailles ne se jouent pas uniquement dans les sphères politiques et économiques. Elles infusent également dans nos supports culturels. On a ainsi vu se démultiplier les métaphores du péril rouge dans les films d’action des années 1970-1980 (les invasions d'extraterrestres étant un moyen pas toujours subtil de désigner la menace soviétique). 

Aujourd’hui, les deux imaginaires en confrontation sur le ring du storytelling sont d’un côté l’illimitisme (soit la croyance en une croissance infinie) et la décroissance (ou l’effondrement nécessaire de notre modèle économique). 

L’illimitisme se construit autour de récits qui placent l’acte de consommation au cœur de nos identités. J’achète, donc je suis. 

Nos possessions matérielles nous définissent et sont un moyen efficace de nous démarquer, de prendre confiance et de trouver l'amour. En général, on saupoudre aussi le tout avec un soupçon de techno-solutionnisme. Cette philosophie affirme que les nouvelles technologies sont les seules à même de nous sortir du pétrin actuel. Les GAFAM et les leaders de la tech (Elon Musk, Zuckerberg, etc), défendent en grande majorité cette croyance. Et l’imposent au reste de la société, à grands coups de publicités et de lobbying.

A l’inverse, l’imaginaire de l’effondrement relaie le constat de la diminution des ressources planétaires et l’urgence de revoir radicalement notre copie. La décroissance, loin d’être perçue comme un désastre, est plutôt représentée comme un nouvel élan et un moyen de vivre plus sereinement, sans écraser les autres. On parle beaucoup dans ce cadre de la théorie du Doughnut Economics, formalisée par l’économiste Kate Raworth. 

 

Nouveaux récits : une nécessité pour faire évoluer les imaginaires ?

Si l’on se place du côté des décroissants, le changement de société impose de transformer radicalement ce que nous jugeons désirable ou non. Et pour cela, ses partisans doivent porter de nouveaux récits, capables de faire rêver et non de rebuter. 

Car c’est là toute la difficulté de ce nouveau récit. Malgré son bien-fondé, il peine encore à s’imposer tant il est perçu par une large partie de la population des pays occidentaux comme un monde fait de contraintes et de renoncement. 

Ces dernières années, on a donc vu évoluer ces nouveaux récits, passant d’un storytelling militant voire culpabilisant à une approche plus optimiste et joyeuse. Les communicants et acteurs culturels jouent un rôle fondamental dans la promotion de ce nouveau futur en rendant plus désirables des modes de vie qui ne sont plus adossés à la consommation à outrance. 

Acheter bio, de seconde main ou plus durable n’est plus un acte politique… C’est un nouveau lifestyle qui permet de se détacher du matériel pour se concentrer sur des valeurs plus épanouissantes. 

Représentation de type solar punk d'une ville futuristique
Les marques peuvent contribuer à diffuser une vision plus désirable d'un futur qui serait plus respectueux des limites planétaires

Attention au but contre son camp

Le hic, c’est que les nouveaux récits placent aujourd’hui les storytellers et les marketeux devant un choix cornélien. Les nouvelles valeurs de marque qu’ils défendent entrent en effet bien souvent en contradiction avec les conditions nécessaires à la survie de leur entreprise. Car bien sûr les entreprises restent avant tout des organisations capitalistes, vouées à disparaître si elles ne sont pas rentables. 

Or, pour être rentables, elles doivent vendre, et donc encourager la consommation. Un très bon exemple de ce tiraillement entre valeurs et rentabilité nous vient du dernier Black Friday en France. Reconnue comme la grande messe de la sur-consommation et des prix cassés, l’Ademe (Agence de  l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) en a profité pour visibiliser un autre récit : celui de la conscience environnementale et de la décroissance

Dans une campagne publicitaire coup de poing, l’agence de la transition écologique utilise l’humour pour vanter les mérites de la non-consommation. Des “dévendeurs” incitent les acheteurs à moins consommer, voire à ne plus consommer du tout. Ces publicités, acclamées par le public, ont été très mal accueillies par les marques et entreprises de la grande distribution. 

Elles sont nombreuses à s’être senties insultées, en particulier dans un contexte économique compliqué qui voit de nombreux géants du textile (ou de la déco) fermer leurs portes. Le leader des supermarchés en France, Michel-Edouard Leclerc, a même fustigé la campagne qui, sous prétexte de défendre la sobriété, snobe les professionnels du textile français. La bataille est donc loin d’être gagnée pour les défenseurs des nouveaux récits…

Comment intégrer les nouveaux récits aux stratégies marketing ?

La dissonance cognitive n’est pas forcément une contrainte nouvelle pour les entreprises et leurs équipes marketing. Après tout, notre cerveau est déjà habitué à recevoir des informations contradictoires et à agir de manière irrationnelle. On pense par exemple aux spots pour des spiritueux qui se terminent par un avertissement sur les dangers de l’alcool. Ou les campagnes publicitaires pour les géants du fast food, qui nous conseillent de manger 5 fruits et légumes par jour…

Comment les entreprises peuvent-elles s’emparer de ces nouveaux récits et les intégrer à leur stratégie de contenu marketing ? Plusieurs pistes s’offrent déjà aux marketeux et aux communicants.

Bonne pratique #1 : susciter des émotions positives

Le mot sobriété n’est pas, en soi, une notion qui fait rêver beaucoup de consommateurs. Mais il est néanmoins possible d’emballer son audience avec d’autres émotions que l’auto-contrôle et l’éco-anxiété. Un récit de changement de vie, plus ou moins radicale, peut être porteur de joie et surtout mobiliser des communautés entières (et par là même notre besoin de créer du lien). 

Stella Artois, une marque que l’on associe rarement à l’activisme, a ainsi lancé la campagne “Payez un verre à une femme ». Jouant la carte de l’humour (et de la provocation), l’entreprise s’est associée à Water.org pour sensibiliser son audience à la crise mondiale de l’eau. Le message n’était ainsi pas d’offrir une bière pour engager la conversation dans un bar, mais d’offrir un mois d’eau potable aux femmes et à leurs familles dans les pays souffrant de sécheresse pour chaque pack acheté. 

Bonne pratique #2 : dépasser la réalité tout en restant réaliste

L’imaginaire reste un moyen très efficace de nous projeter dans un futur plus désirable. Tout l’enjeu est de projeter son audience dans un monde plus féérique, tout en s’assurant qu’il entre en résonance avec sa réalité actuelle et reste donc un tant soit peu vraisemblable. 

Bonne pratique #3 : mettre en scène des héros du quotidien

Tout bon récit est porté par un héros, ou plus précisément dans le cas des nouveaux récits, un anti-héros. Cet archétype d’un genre nouveau se fait de plus en plus sa place dans les stratégies éditoriales des entreprises. Ce dernier permet aux consommateurs de s’identifier et de faciliter une projection dans ce nouveau monde. 

Pour Tommy Hilfiger, le héros est le consommateur lui-même. Dans sa campagne « Moving Forward Together » la marque a demandé à ses clients de participer à la co-création de nouveaux vêtements en utilisant des chutes de tissus. 

Bonne pratique #4 : baliser sa rentabilité

Si créer de nouveaux récits, moins écocides et inégalitaires est absolument indispensable, les marques qui les portent doivent rester rentables. Et donc, être au clair sur leurs objectifs marketing. Cette double injonction nécessite de baliser un modèle commercial qui soit durable, à la fois pour la planète comme pour l’organisation. 

Plutôt que de miser sur l’obsolescence programmée de ses produits pour booster son taux de réachat, les marques peuvent ainsi réfléchir à élargir leur gamme pour proposer des articles complémentaires. C’est sur ce chemin que s’aventurent des marques éco-responsables comme Inga ou La bonne Brosse.

Apprenez des meilleurs experts marketing : construisez une stratégie de marque puissante