#92 – Comment les récits d’aujourd’hui façonnent le monde de demain

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Les nouveaux récits nous offrent une bouffée d’optimisme, face à un avenir que l’on se complait parfois à imaginer comme sombre et dystopique. Mais les histoires que nous racontons aujourd’hui contribuent à façonner le monde de demain… Pour approfondir le sujet, j’ai échangé avec Thibaut Labey, cofondateur de Chilowé, plume et auteur de la newsletter Géronimo, qui partage des histoires racontant un futur positif, ambitieux et réalisable

 

Ensemble, nous avons discuté dans le podcast The Storyline de la manière dont Thibaut et son associé Fernand ont développé autour de Chilowé un véritable média co-construit avec la communauté puis lancé un tour opérator en s’appuyant sur cette même communauté Nous avons aussi parlé du vaste sujet des nouveaux récits et de leur importance dans le monde d’aujourd’hui. 

 

Construire un univers de marque dans lequel on aimerait soi-même vivre

 

Avant de se lancer dans la fiction, Thibaut a vécu 1000 vies. Il commence notamment sa carrière professionnelle comme avocat en droit maritime à Marseille. Puis, il se reconvertit en tant que chargé de projets éducatifs dans une ONG au Cambodge. Il revient d’ailleurs de cette mission jusqu’en France en tuk tuk, ramenant avec lui 1 000 lettres d’enfants racontant leur chemin pour aller à l’école. 

 

De retour en France, il ressent un fort besoin d’explorations et de grands espaces. Coursier à vélo, puis accompagnateur d’entrepreneurs pour Ticket for Change, il lance un soir une bouteille à la mer sur Facebook, à la recherche de bons plans pour partir à l’aventure sans trop s’éloigner de Paris. C’et par le biais de ce post qu’il rencontre Ferdinand, avec qui il partage une admiration pour l’explorateur Alastair Humphrey, auteur d’un ouvrage dédié au concept de micro aventure (l’aventure que l’on vit près de chez soi, précurseure du tourisme responsable).

 

La mayonnaise prend rapidement. Ensemble, ils décident de créer la communauté qu’ils auraient aimé rejoindre et la newsletter qu’ils auraient aimé recevoir. Une bonne pratique qui consiste à auto-centrer sa stratégie marketing et à garder son persona en tête (soi-même). Quand il prend la plume, Thibaut écrit par exemple avec pour but premier de faire rire son associé Fernand !

 

Cette stratégie, qui consiste à créer un produit dont on serait le premier client, permet aussi de se laisser surprendre par les retours de ses utilisateurs. C’est ainsi que Chilowé devient l’un des pionniers français de l’UGC (ou User Generated Content), ses lecteurs partageant naturellement leurs propres aventures. Chilowé réussit ainsi à se créer une identité originale, et facilement reconnaissable. Une bonne manière de se distinguer et de créer un lien beaucoup plus fort avec sa communauté !

 

Faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux

 

Une autre bonne pratique que l’on peut piquer à Chilowé, c’est sa capacité à se démarquer de ses concurrents historiques pour créer une communauté plus inclusive. Plutôt que de marcher sur les traces des experts de l’aventure, qui ont tendance à prendre les néophytes de haut, Chilowé a inspiré la création de la Société Parisienne d’Élevage de Micro-Aventuriers (un hommage humouristique à la SCEP d’OSS 117), réunissant des passionnés comme des curieux – le tout, sans prise de tête et sans snobisme ! 

 

La marque a ensuite pu puiser dans cette communauté d’ambassadeurs pour développer son offre. Répertoriés par expertise, ces ambassadeurs ont par exemple participé à l’écriture des livres de Chilowé, chaque rubrique étant incarnée par des membres spécialistes d’une ou l’autre forme d’aventure… 

 

Chilowé s’est aussi inspirée des demandes de sa communauté pour lancer un tour opérateur (en plein confinement, par-dessus le marché). Progressivement, le contenu de marque, qui était purement digital, s’est incarné dans la vraie vie. Et a ainsi permis de réunir chaque week-end des centaines d’aventuriers partout en France !

 

Partager des nouveaux récits pour faire évoluer les comportements 

 

En valorisant de nouvelles visions du voyage à travers son média, Thibaut a aussi contribué à l’émergence de nouveaux récits. C’est un sujet passionnant mais qui, plus on s’y intéresse, moins il semble compréhensible. Et c’est précisément pour cette raison que Thibaut a lancé la newsletter Géronimo, à travers laquelle il décrypte le sujet en profondeur. Depuis Chilowé, il s’est en effet rendu compte que les histoires participaient à influencer et transformer les comportements des gens dans la vraie vie. 

 

Au-delà du voyage, les nouveaux récits permettent ainsi de revoir notre copie sociétale – en matière d’alimentation, d’éducation, … Mais aussi de communauté. Ils offrent une rupture aux grands récits qui ont dominé jusque là, et qui parlent plutôt d’abondance, d’anthropocentrisme ou de capitalisme forcené… Des récits qui nous conduisent tout droit dans une impasse écologique et sociale. 

 

L’essence des nouveaux récits est donc d’apporter des solutions à travers des histoires, en permettant aux citoyens de se projeter dans un futur dans lequel on aurait réussi à concilier notre modèle économique, la protection de la planète et la justice sociale. 

 

Pour y parvenir, Thibaut a choisi la fiction. Il a été inspiré dans son choix par l’initiative Designated Driver lancée par Harvard dans les années 1990 et reprise sous le slogan “Sam, celui qui conduit c’est celui qui ne boit pas” en France. En 10 ans, cette initiative a permis de diffuser l’image de héros qui font le choix de ne pas boire pour conduire prudemment. Reprise dans 160 épisodes de série et films au total, cette figure inspirante a participé à réduire de 30 % les accidents de voiture aux USA. Comment ? En faisant évoluer la norme et en nous encourageant à changer nos pratiques à travers la figure de héros inspirants. 

 

Moins de dystopie, plus de positivité 

 

Mais comment rendre le futur plus désirable alors que la dystopie fonctionne si bien ? On aime en effet se faire peur et pour les créateurs, il n’y a pas de meilleur arc narratif que de faire traverser les pires épreuves à son héros (pour créer de l’empathie, mais aussi pour offrir un récit de transformation, auquel nous aspirons toutes et tous…).

 

Pour Thibaut, il est pourtant possible de captiver son audience avec une histoire positive, dans laquelle tout va bien. Comme l’exemple de Designated Driver, ce n’est néanmoins pas un changement brutal et soudain qu’il faut chercher. Mais plutôt la création d’un mouvement de fond, une foule de petits détails narratifs, de lignes de dialogues et d’histoires qui normalisent et rendent désirables des changements qui nous paraissent aujourd’hui contraignants. 

 

Car, comme le montrent les étranges similitudes entre la vision apocalyptique de Los Angeles dans le premier Blade Runner sorti il y a près de 30 ans et la cité des anges aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de constater que notre vision de la fiction a tendance à être autoréalisatrice… En influençant nos imaginaires, elle influence nos actions et tend donc à faire de la dystopie une réalité. 

 

La théorie de la fourmi : comment réhabiliter de nouveaux standards de société ?

 

Plutôt que de se laisser attirer par l’hédonisme tapageur de la cigale, on peut donc préférer l’approche méthodique de la fourmi. Chaque citoyen, mais aussi chaque entreprise – et même chaque employé – peut être cette petite fourmi et participer à l’imagination et à la diffusion des nouveaux récits

 

C’est par exemple ce qu’a fait Chobani, une marque de produits laitiers végétaux qui a incarné dans un spot publicitaire le mouvement solar punk (qui s’oppose au pessimisme du cyberpunk en imaginant la cohabitation paisible de l’humain, la nature et la technologie). Dans le clip Dear Alice, une grand-mère qui écrit à sa petite fille en lui donnant des idées pour gérer sa ferme. Un nouveau récit qui dépeint avec beaucoup de joie et de douceur un avenir radieux. 

 

Autre exemple inspirant, plusieurs entreprises d’alternatives végétales à la viande ont ainsi gagné contre le Conseil d’Etat qui leur avait interdit d’utiliser des termes comme ‘steak” ou “lardons”. Une initiative qui a vu s’associer des concurrents, montrant que lorsque l’on coopère, on peut plus efficacement amplifier la portée de son message. 

 

Une autre arme pour rendre les nouveaux récits désirables est celle de l’humour. La campagne “Découvrez les pieds” de Bruxelles mobilité a opté pour cette voie en encourageant les habitants de la capitale Belge a utiliser la technologie de pointe dont ils disposent pour se déplacer : leurs pieds. Un bon moyen de présenter le changement de manière positive, sans taper sur les doigts. 

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