#58 – Le troll bienveillant à l’attaque des réseaux sociaux

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Dans cet épisode de The Storyline, je vous emmène dans le dark side de Linkedin, pour mettre en lumière un profil pour le moins étonnant. Celui de Walter Laouadi, qui s’y est fait une réputation de “troll bienveillant” et qui, à travers ses posts, commentaires et articles, met en lumière l’absurdité ambiante de la startup nation de mise sur les réseaux sociaux. 

 

Dans cet épisode, on parle des métiers de l’écriture et du statut ambigu de troll en ligne. Mais aussi, de la fabrique à bullshit des réseaux sociaux, entre injonction à la positivité, culte du travail, et floutage des lignes entre vie pro et perso…

 

De concepteur-rédacteur à copywriter : les métiers de l’écriture

 

Une fois son bac en poche et après une parenthèse de quelques mois dans la grande distribution, Walter suit des études de langue puis intègre une école de journalisme. Il fait ses premières armes en tant que responsable Social Media pour Minutebuzz, avant de devenir concepteur-rédacteur junior dans différentes agences parisiennes.  

 

S’il n’a pas continué dans le journalisme pur et dur, Walter a tout de même persévéré dans la rédaction. Comme beaucoup d’autres rédacteurs, il est tombé dans la marmite un peu par hasard, sans forcément avoir suivi un cursus spécialisé. C’est d’ailleurs ce qui fait la force de ces métiers, accessibles à tous, peu importe la formation initiale. 

 

Dans une industrie qui bouge, les intitulés de postes, eux aussi, changent tout le temps. De nouveaux métiers émergent, et ce sont plus les compétences que la fiche de poste qui déterminent la réalité d’une profession et les objectifs qui lui sont attachés. 

 

Pour certains, c’est une bonne chose, puisque cela permet d’avoir une carrière moins linéaire. Selon Walter, ce grand flou peut être frustrant et créer un mal-être chez des actifs qui ne savent pas toujours ce que l’on attend d’eux. 

 

Passer d’un brief méta à une campagne multi-format 

 

Le cadre du métier de concepteur rédacteur, justement, c’est de décliner les valeurs et ambitions d’une marque sur différents contenus et formats. A partir d’un brief, Walter donne un angle, une impulsion pour faire vivre et rayonner la marque. Cette dernière sera généralement reprise et magnifiée par un copywriter, dont le rôle est d’exploiter à fond ce message pour en faire une machine à conversion. 

 

Pour générer des idées créatives, Walter n’a pas vraiment de recette magique. Il préfère d’ailleurs travailler pour les marques qui acceptent de voir bouger leurs lignes plutôt que de s’astreindre à une méthodologie trop cadrée. Plus OM que Chanel, ce qui l’intéresse, c’est cette volonté de faire un pas de côté. Et de faire les choses différemment, avec une note d’humour. 

 

Pour y parvenir, le plus important est de bien digérer le brief. Car plus Walter passe de temps sur l’étape de la “digestion”, moins il en perd lors de celle de la conception. Un parti pris qui n’est cependant pas toujours compatible avec les impératifs de rentabilité de certaines agences…

 

L’anti-playbook pour créer un personnage sur les réseaux sociaux 

 

Pour passer de concepteur-rédacteur à gentil troll sur LinkedIn, Walter a justement dû faire lui-même ce pas de côté. C’est suite à un arrêt maladie en 2018, alors qu’il reprend le travail pas très en forme, qu’il a le déclic. 

 

Il lui vient d’un message sur le réseau social professionnel qui le fait sortir de ses gonds. Une énième publication apparaît dans son feed, dans la mouvance de la positivité toxique.

 

Walter répond du tac au tac avec agacement et un humour décapant, sans suspecter la portée de son commentaire. Il sera pourtant repris par Brain Magazine, qui clame avoir “trouvé le connard ultime” sur Linkedin. Puis, c’est l’effet boule de neige. Son téléphone vibre plus qu’une instagrameuse certifiée et il croule sous les notifications. Un engouement pour son humour, qui le pousse à poster une deuxième fois. 

 

Là encore, c’est le relais de Brain Magazine (qui confirme que Walter est “vraiment un connard”) qui fait prendre la sauce. Tout le monde ne comprend pas encore l’ironie de Walter Laouadi, mais son personnage de troll a mis le pied à l’étrier. 

 

Cela fait maintenant 5 ans que Walter s’amuse à brouiller les codes sur Linkedin, même si la ficelle est de plus en plus visible. Il n’empêche que ses posts rameutent toujours une armée de premiers degrés. Pourtant, dans son rôle de troll de la startup nation, Walter fait bien attention à ne jamais être 100 % moqueur. Et à ne pas dépasser la ligne rouge entre le troll bienveillant, et le troll tout court : à savoir, poster dans l’intention de nuire et non de faire un bon mot. 

 

Pourquoi autant de bullshit sur les réseaux sociaux, et comment inverser la tendance ?

 

Ce qui a motivé la création de son personnage, c’est le constat que les réseaux sociaux se sont transformés en véritable fabrique à bullshit. Une dérive que Walter cherche à mettre en lumière et à questionner dans ses publications. 

 

Le grand flou des réseaux

 

Premier constat amer : les similitudes de plus en plus évidentes dans le contenu posté sur des plateformes pourtant différentes. Pour Walter, LinkedIn s’est progressivement éloigné de sa mission principale (faciliter la recherche de travail) en privilégiant le contenu travaillé et inspirationnel. 

 

La frontière entre vie pro et perso est de plus en plus trouble. Sur LinkedIn, si on ne partage pas son quotidien et un contenu plus lifestyle, impossible de pousser sa candidature ou de visibiliser son offre d’emploi. De son côté, Instagram se rapproche de plus en plus de TikTok, avec une mise en avant des formats vidéo et du snacking content.  Les plateformes entretiennent volontairement ce flou pour maximiser l’engagement de leurs utilisateurs. 

 

TikTok : malaise TV et vortex à content

 

Selon Walter, en bout de chaîne de ce vortex des réseaux sociaux, on trouve TikTok. Une application qui aggrave pour lui la content fatigue, puisque l’on peut y passer des heures sans rien apprendre. Le contenu est de plus en plus court, réduisant notre capacité d’attention, mais aussi de réflexion.  

 

Le réseau social de la Gen Z met aussi les marques devant de nouveaux défis. Pour Walter, la clé est de faire confiance aux personnes qui utilisent la plateforme. Et donc de s’entourer de jeunes créatifs qui savent ce que ses utilisateurs attendent. 

 

Renverser la vapeur, un abonné à la fois

 

Pour prendre conscience et sortir de cette fabrique à bullshit, le trolling bienveillant est-il la meilleure arme ? Walter n’en est pas persuadé. Car depuis qu’il a commencé à poster sur LinkedIn, il y voit fleurir de plus en plus de contenu dans cette veine. 

 

En matière de bullshit content, la limite est propre à chacun. Pour Walter, elle se trouve dans le manque de pudeur de beaucoup d’utilisateurs, qui postent dans l’espoir de prouver leurs qualités humaines. On peut trouver quelque chose d’un peu triste au fait de chercher une récompense sociale auprès de ses réseaux sociaux plutôt que de son réseau proche. 

 

Mais là où la fabrique à bullshit peut se révéler réellement nocive, c’est lorsqu’elle véhicule une injonction à la positivité en toute situation. Une obligation malsaine à transformer une difficulté en trampoline pour rebondir encore plus haut. 

 

Si ce contenu qui aimante les likes n’est pas prêt de disparaître, Walter se réconforte dans une philosophie du Act local, Think Global.  Même si son personnage LinkedIn ne changera pas la face des réseaux, il peut au moins convaincre un membre de sa communauté à la fois. 

 

Manifeste pour sortir de la matrice du bullshit

 

Pour booster l’impact de sa vision au vitriol de la startup nation, Walter mise sur un médium bien moins instantané que les réseaux sociaux. Il a en effet sorti en juin dernier un livre : Manifeste pour une vie dédiée au travail. Dans cet ouvrage, il répond à 20 questions existentielles (voter à gauche ou à droite, comment choisir son tatouage) en adoptant son personnage de troll bienveillant. Sa sortie méritait d’ailleurs bien un post LinkedIn !

 

Quelle est la finalité de tous ces actes, de toutes ces choses que l’on fait au quotidien ? Comment est-ce que le marketing et les réseaux sociaux influencent notre vie, notre perception du succès et du bonheur ? Walter fait partie des gens qui, consciemment ou non, tirent la sonnette d’alarme sur la doctrine de la startup nation, qui a graduellement imposé un culte de la productivité, de la positivité perpétuelle. A travers cet épisode, je voulais juste ouvrir un dialogue et une réflexion sur le fait que vous n’êtes pas obligé de céder à toutes ces injections. Ou vous montrer qu’au moins, vous pouvez être conscient qu’elle ne représentent plus la réalité. 

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