#44 – Les secrets de l’écriture journalistique, avec Leila Chik, journaliste chez Telquel

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Savez-vous quelle est la différence entre l’écriture d’un journaliste et celle d’un Content Marketer ?

 

C’est une question que je me suis beaucoup posée au gré des épisodes de The Storyline. Et j’ai finalement tenté d’y trouver une réponse avec l’invitée de ce dernier !

 

Leila Chik, fraîchement installée à Casablanca, a rejoint la rédaction du premier magazine francophone au Maroc, Telquel. Ensemble, dans cet épisode, on s’est interrogées sur les ressorts du processus journalistique. Elle nous y parle de ce qui l’a amenée à ce métier, sa méthode d’écriture, et la manière dont elle aborde tout nouvel article.

 

Ensemble, on s’est également questionnées sur le futur des médias, qui souffrent durement de la digitalisation de l’économie. Mais aussi, sur l’importance de s’informer dans un monde criblé par l’infobésité.

 

De la mode au Cannabis : un parcours éclectique dans le journalisme 

 

Leila Chik est tombée dans la marmite du journalisme, non pas quand elle était petite, mais un peu par hasard. Après une prépa littéraire, et une école de commerce de l’art, elle réalise un stage de production photographique au magazine Stylist. Ce dernier vient juste de se lancer, et l’univers lui plaît tellement qu’elle décide de rester une fois son stage validé.

 

Elle continue pendant un temps dans la production photo. Mais ayant toujours aimé écrire, Leila se réoriente rapidement vers la rédaction. Malgré le fait qu’elle ne sorte pas d’une école de journalisme, on lui laisse sa chance. Après Stylist, elle enchaîne les parutions, notamment chez Modzik, puis chez Vice, Marie Claire…

 

Pour coller à ses intérêts très variés, Leila décide de se lancer en Freelance. Un choix qui lui permet de rester libre, et de sélectionner les sujets qu’elle souhaite traiter. Le hasard, qui fait bien les choses, la surprend au Maroc à l’annonce du premier confinement. Ça tombe bien : le magazine Telquel, qu’elle connaît depuis 20 ans déjà, recrute. Leila rejoint la rédaction de ce titre très apprécié pour son impertinence et son engagement politique.

 

Un engagement que partage Leila, puisqu’elle se spécialise rapidement sur certaines thématiques. Et notamment sur les sujets de société, et les injustices, qui la révoltent autant qu’elles l’inspirent. De la situation des travailleuses domestiques, au harcèlement des étudiantes à l’université, en passant par l’enjeu de la possible légalisation du cannabis au Maroc, Leila apprécie de pouvoir passer d’une thématique à l’autre. Et d’apprendre toujours de nouvelles choses !

 

4 conseils pratiques pour aborder un sujet dont on ne connait rien

 

La curiosité, c’est justement le premier outil que Leila nous invite à aiguiser pour affiner notre plume. Pour aborder un sujet complètement nouveau, elle commence systématiquement par se renseigner. Et prend une demi-journée pour lire tout ce qu’elle peut trouver.

 

Une fois qu’elle maîtrise un peu mieux son sujet, elle se met en recherche d’experts pour leur poser ses questions. Pour beaucoup, cette étape, très chronophage, peut représenter une perte de temps. Mais même si elle n’utilise que 5 % de la matière qu’elle va accumuler, Leila considère que ces échanges sont essentiels pour mieux comprendre son sujet.

 

Troisième étape : chercher un angle pertinent. Le propre du journaliste, c’est de ne pas enfoncer des portes ouvertes, de ne pas écrire le même papier que les autres publications. Pour définir un angle innovant, il faut faire marcher sa matière grise. Beaucoup réfléchir en tournant le sujet dans tous les sens. Et ne pas hésiter à demander de l’aide à ses collègues pour piocher de nouvelles idées ! Selon Leila, la clé, c’est aussi de tester… Si l’axe sur lequel on a commencé à rédiger un article ne donne rien, on recommence à zéro et on en cherche un nouveau.

 

La valeur ajoutée, c’est précisément la première différence que l’on peut trouver entre la rédaction SEO et l’écriture journalistique. Les Content Marketers, et les entreprises de manière plus générale, ne sont généralement pas dans une recherche d’originalité dans leur approche d’un sujet – au contraire, leur objectif est généralement sa vulgarisation et sa simplification ! En conséquent, ces derniers sont plutôt dans l’optique de « répéter » le même contenu que leurs concurrents, avec pour seul objectif de mieux l’optimiser pour le référencement.

 

A l’inverse, un journaliste va faire primer l’innovation. Sa mission est de trouver un sujet qui n’a pas été traité, ou de le faire avec un regard neuf.

 

Transformer la matière en article

 

La matière d’un journaliste, ce n’est donc pas un gloubiboulga de tous les articles qui ont déjà abordé le même sujet, mais les retranscriptions d’interviews qu’il aura réalisées. C’est d’ailleurs une grosse partie du travail de Leila (qu’elle pourra désormais automatiser avec l’IA et des logiciels tels que Happy Scribe).

 

Une fois la matière essentielle sélectionnée, Leila fait valider ses citations (hors contexte) aux personnes qu’elle a interviewées. Ensuite, elle note ses idées à la main. Un processus qui l’aide à réfléchir, et qui lui permet de trouver le plan de son article.

 

Là encore, on peut voir une autre grande différence entre Content Marketing et journalisme. C’est la temporalité, le temps nécessaire pour accoucher d’un nouvel article. Si le premier peut prendre de quelques heures à une journée, l’écriture journalistique implique un travail bien plus long. La nécessité d’enquêter, c’est à dire de trouver des témoins, et de les mettre en confiance (en particulier lorsque l’on traite d’un sujet sensible) nécessite beaucoup de temps. Un article de société demandera au moins 2 semaines à Leila.

 

Se distancier pour se protéger

 

En plus de cette différence de temporalité, le métier de journaliste implique souvent une dimension humaine beaucoup plus forte. D’où l’importance pour Leila d’apprendre à se distancier de ses sujets et de ses témoins…

 

Ses conseils pour se protéger sont simples :

 

  • Se rappeler pourquoi on a choisi de devenir journaliste. Et que les émotions fortes qui vont avec les témoignages sont essentielles pour rédiger un bon article ;
  • Faire autre chose quand on rentre chez soi. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que la presse traverse une transition digitale brutale. L’ambiance dans les rédactions peut être donc particulièrement éprouvante. Pour tenir le coup, il faut donc se mettre des limites. Et cloisonner autant que possible sa vie pro et perso.

 

Journalisme et Content Marketing : quelles différences dans l’écriture ?

 

Une fois ce travail drastique terminé, Leila passe à la phase de rédaction. Comme elle le dévoile dans notre échange, elle aime commencer ses articles par une citation forte. C’est d’autant plus facile lorsqu’elle se base sur des témoignages. La citation permet de capter l’attention du lecteur, et lui donne envie de lire la suite.

 

Leila aime aussi conclure sur une phrase forte. Sans le savoir, elle utilise une méthode propre au Management et au Marketing : la technique du sandwich.

 

Si elle garde son plan en tête pour guider sa rédaction, Leila écrit toujours ses introductions à la fin. Cette méthode qui lui permet de ne pas se laisser trop contraindre par sa structure. Mais aussi, de rendre ses transitions plus fluides et d’éviter que le lecteur ne sente qu’il passe d’une partie à une autre.

 

Pour adopter une écriture plus journalistique, Leila conseille donc aux rédacteurs dans le Marketing de lire régulièrement. Cela permet d’étoffer son bagage culturel, et ses références, et de se créer des automatismes. Comme celui de livrer dans tout article les 3W – What, Why, When – dès l’introduction. Mais également de s’inspirer des schémas d’écriture classique pour sortir d’un style rédactionnel trop scolaire, et donc parfois trop artificiel.

 

Opérer la transition digitale des médias en gardant son ADN : les défis de la presse 2.0

 

Pour finir, nous avons évoqué avec Leila la transition difficile qu’est en train d’opérer la presse du papier vers le digital. Pour continuer de vendre du papier, elle considère qu’il faut une couverture exceptionnelle. Un peu comme celle de Libération pour annoncer la séparation des Daft Punk et couvrir l’Hirak Algérien. Le magazine a désormais une charge symbolique, devenant presque une œuvre d’art.

 

Pour passer au numérique, la presse doit aussi diversifier ses formats. Telquel a ainsi décidé de lancer plusieurs podcasts. Le magazine projette également de produire des capsules vidéo sur le modèle de Brut et de lancer une plateforme de VOD.

 

En filigrane, l’enjeu pour fidéliser les lecteurs est surtout de conserver son image de marque et sa ligne éditoriale. Si les sujets abordés peuvent varier, de l’actu à la cuisine, en passant par les talk-shows, la clé est de garder son sérieux et son ton impertinent. Le lectorat de la presse est en effet plus exigeant. Il attend ainsi des angles qu’il ne trouvera pas ailleurs, et des formats originaux.

 

Le mot de la fin

 

En m’entretenant avec Leila, j’avais envie de sortir de l’univers business. Et de confronter le point de vue d’un profil dont l’écriture est le corps de métier à la grille de lecture des entreprises.

 

J’en retiens que les marques ont tout à gagner à adopter un ton plus journalistique et impertinent. Une bonne stratégie non seulement pour tisser des liens avec ses lecteurs. Mais aussi pour se distancier de la course au SEO.

 

Comme je le dis toujours, quand on joue le jeu de la qualité plutôt que de la quantité, les efforts finissent toujours par payer. Je vous encourage donc à suivre les conseils de Leila dans les prochains contenus que vous produirez, juste pour voir ce qu’il se passe…

 

Les ressources de l’épisode

 

Le profil LinkedIn de Leila

Ses articles rédigés pour le magazine Telquel

Ses articles dans Modzik

L’article de Leila sur le harcèlement sexuel à la fac dont est tiré la citation d’introduction

Le podcast Le Scan lancé par Telquel

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