On nous le répète en boucle à longueur de journée : changer de trajectoire et adopter les mesures nécessaires à la transition écologique n’est pas simple, mais c’est une nécessité. Sauf que, problème : le changement est une dynamique difficile à impulser. Et plutôt que de déconstruire les idéaux qui nous ont menés vers une société de surconsommation, il devient urgent pour les marques d’adopter un storytelling de marque positif, qui rendrait désirable un futur plus sobre.
Pour parler de ce sujet, on a rencontré Côme Girschig, conférencier engagé pour l’écologie démocratique et sociale. Côme est tombé dans la marmite de l’activisme en 2015 à l’occasion de la COP21 à Paris. Dans la foulée, il rejoint différentes ONG pour assister aux grandes négociations internationales sur le climat. Puis, il s’investit à un niveau plus local, notamment dans le cadre de la convention citoyenne pour le climat ou sur le sujet de la 5G. Bref, vous l’aurez compris : Côme utilise les récits et le storytelling pour dessiner le monde de demain.
Au micro du podcast The Storyline, Côme explore les contours du vaste sujet des nouveaux récits. Mais aussi, de la manière dont les entreprises peuvent s’en emparer, pour une communication engagée qui imagine de nouvelles manières de raconter et de construire le monde.
Aujourd’hui, Côme est conférencier autour de la question écologique. Une position assez rare pour un militant de son âge, mais qui s’explique selon lui par l’attention portée sur la jeunesse lorsqu’il s’est lancé, en particulier autour des sujets écologiques. Côme a rapidement été identifié comme un porte-voix de ce mouvement et sa médiatisation lui a permis de se voir proposer des conférences.
Pour lui, la conférence est un être vivant qui évolue au fur et à mesure de ses prises de parole. Elle lui permet d’embarquer les entreprises et de les faire transitionner vers des modes de fonctionnement plus respectueux de l’environnement. Pour porter ce message, il y a selon lui différentes façons de s’exprimer devant un public. Plutôt que d’affirmer une position très tranchée, Côme adopte une posture de caméléon qui lui permet de se faire écouter et de provoquer l’adhésion des personnes à qui il s’adresse (plutôt que de les braquer en tenant des propos culpabilisants).
Pour cela, il est prêt à tordre autant que possible la forme de ses conférences (les exemples choisis, le vocabulaire utilisé, et même la tenue qu’il porte). C’est d’ailleurs ce qui lui demande le plus de travail, car l’expertise sur le sujet écologique coule désormais dans ses veines.
Cette capacité à s’adapter est aussi un moyen selon Côme d’affirmer sa légitimité lorsque l’on est plus jeune que son audience.
Même s’il admet être relativement à l’aise devant un public, Côme n’hésite pas à dire que la spontanéité et la sincérité (deux ingrédients essentiels à tout conférencier), ça se prépare. Cela peut paraître paradoxal, mais il faut avoir bien quadrillé son temps de parole et l’espace que l’on va occuper pour pouvoir se débarrasser de ce cadre et improviser.
C’est en maîtrisant son sujet à fond que l’on peut mieux se concentrer sur les réactions dans la salle, improviser et ainsi ne pas tomber dans un format millimétré qui paraît vite artificiel. Comme le résume Côme, la conférence s’apparente plus à une descente en slalom dans laquelle, une fois que l’on a relié les points de passage, on est plus libre d’être créatif.
Il s’inspire également du stand up dont il admire l’écriture à la fois millimétrée tout en paraissant très spontanée. D’ailleurs, il déconseille d’essayer de transposer le format de la conférence au digital, l’absence d’interaction avec le public ne permettant pas de recréer une prise de parole inspirante.
Parmi les outils les plus efficaces pour embarquer son audience dans ce mouvement de transition, Côme s’appuie, au-delà de la forme, sur le storytelling positif, véhiculé sous forme de récit. Ce terme un peu tiroir peut englober de nombreuses prises de parole, mais pour lui, c’est un levier puissant pour concevoir et mettre en œuvre la transition écologique.
On ne peut en effet plus se contenter de viser des objectifs et métriques (comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par exemple). Car quand on commence à résoudre un problème, on en crée bien souvent d’autres… La clé, c’est d’entrer dans une forme de sobriété auto-imposée, et donc de questionner nos désirs. Se demander quelles constructions culturelles se cachent derrière notre envie de consommer, notre besoin de voyager, etc.
Avoir conscience que ces envies sont des constructions permet de remettre en cause leur désirabilité ou leur nécessité. Ce que Côme propose ressemble presque à une énorme psychanalyse collective, dans laquelle on remettrait en question nos désirs et leur bien fondé !
Car quand on y regarde de plus près, des automatismes comme le simple fait de prendre un petit déjeuner, nous ont en réalité été insufflés par des marques ou des industries dans le seul but de gonfler leur chiffre d’affaires. Cela pose également la question aux marketeux qui sont souvent passionnés par les mécanismes d’engagement et de conversion, mais ne s’intéressent pas toujours à leurs conséquences néfastes...
L’enjeu est donc de questionner la pertinence des anciens récits en ouvrant la porte à de nouveaux désirs. C’est ce travail de projection positive vers de nouveaux futurs possibles, sobres et joyeux, qui nous permettra d’avancer dans la bonne direction et de créer de nouvelles utopies !
Les marques sont aussi de puissantes contributrices des nouveaux à travers le storytelling positif. Des récits qui ne sont pas forcément spectaculaires, mais qui sont néanmoins porteurs d’espoir.
C’est le cas de PocheCo, une petite entreprise industrielle qui fabrique des enveloppes en papier. Depuis plusieurs années, elle œuvre à adapter un modèle complètement régénératif. Cela passe par utiliser des appareils industriels propres, mais aussi faciliter le covoiturage pour ses employés, devenir le premier refuge pour oiseaux de sa région et débétonner tout son site. Bref – un modèle de vertu !
L’enjeu est donc selon Côme de porter, mais aussi de s’inspirer de ces nouvelles formes de récits. Ces derniers peuvent être moins spectaculaires, mais profondément humains, engagés et empreints d’un storytelling authentique. Un entraînement aussi bien collectif qu’individuel de notre imaginaire et de ce que l’on juge extraordinaire, inspirant, fascinant…
Les nouveaux récits portent moins sur le changement de nos pratiques qu’une nouvelle façon de faire. C’est le cas de la marque Mustela qui, plutôt que de rendre ses lingettes pour bébé plus respectueuses de l’environnement a décidé purement et simplement de ne plus en produire. Cette capacité à renoncer pour respecter les délais (très serrés) de la transition écologique doit aussi faire partie des nouveaux récits.
Point important souligné par Côme : ces récits sont beaucoup moins portés par des individus que par des communautés, qu’il s’agisse de marques, d’associations ou de groupes de citoyens et consommateurs. Ils s’inscrivent donc dans une évolution plus large qui tend à sortir de l’individualisme pour aller vers plus de collectif.
Ce levier est certainement l’un des plus déroutants pour les entreprises, qui sont forcées, bon gré mal gré, à se décentrer. On voit aussi des concurrents œuvrer ensemble dans une démarche de marketing coopératif pour passer d’un mode de distribution individuel au vrac, dans les pharmacies par exemple.
Frédéric Laloux incarne lui aussi ce changement de paradigme lorsqu’il donne des conseils à ses concurrents. Idem pour Lamazuna, une marque de cosmétique solide et bio qui a décidé de faire émerger ses propres concurrents via l’open source. Une stratégie qui lui permet de conserver une taille humaine, plus en phase avec l’impératif écologique, tout en diffusant son message au plus grand nombre.