Le podcast The Storyline est parti à la rencontre de Jean Baptiste Mouttet, cofondateur du Médiavivant. Si vous n’en avez pas encore entendu parler, il s’agit d’un média marseillais pas comme les autres, où les journalistes racontent l’actualité sur scène, autour d’un verre, sans filtre ni censure.
Jean Baptiste partage les coulisses de ce projet pas comme les autres, les leviers du journalisme et les secrets pour monétiser une communauté et un média.
Jean Baptiste s’est lancé dans le journalisme après un voyage à Tahiti lorsqu’il avait 7 ans ! Rassurez-vous : sa vocation n’a pas pris forme aussitôt, mais son expérience à l’autre bout du monde lui a donné envie de raconter des histoires.
Des années plus tard, il devient journaliste, se concentrant sur une question qui l’obsède : comment intéresser les gens, et en particulier son entourage, à l’actualité ? Il imagine alors un média qui collerait avec les aspirations de ses amis d’enfance, qui ne se sentent pas forcément légitimes à ouvrir un journal comme Le Monde. Il remarque que ses proches ont moins d’appréhension à acheter un journal local. La proximité et le fait de lire des nouvelles de personnes que l’on connaît semble rendre l’information plus concrète et moins intimidante.
Il décide donc de fonder le Médiavivant et de mettre en scène ses enquêtes journalistiques. Le format est simple : le journaliste raconte son article et invite les intervenants qui y ont contribué (appelés les témoins) à s’exprimer eux aussi face au public. Ce format permet trois choses :
Les enquêtes qui prennent vie avec le Médiavivant sont contées dans un lieu ouvert, moins intimidant qu’un théâtre. Le fait de se retrouver dans un coworking, une salle de MJC ou même un bar permet de créer de la proximité, et de casser les barrières.
Depuis qu’il s’est lancé, le Médiavivant a couvert des sujets très différents. La première enquête traitait par exemple de la guerre en Ukraine, et plus spécifiquement des bombardements de Marioupol. Ce sont les habitants de la ville qui ont directement raconté les événements, puis leur fuite vers la France.
Jean Baptiste a également mis en scène une plongée dans le quotidien des proches de victimes de règlements de compte, mettant en lumière les séquelles de ces meurtres sur les familles. La dernière enquête du Médiavivant concernait la pollution dans le golfe de Fos. Pour illustrer ses conséquences, Jean Baptiste a fait monter sur scène des habitants qui se mobilisent pour mettre l’Etat et les entreprises face à leurs responsabilités.
Lors de sa soirée de lancement, le Médiavivant a réuni plus de 200 personnes. En plus d’une à 2 représentations par mois, des vidéos sont publiées sur le site du média. Découpées en 3 parties, les enquêtes vivantes sont étayées par des encadrées qui permettent de creuser le sujet plus en profondeur.
Même si ça y ressemble fort, attention à ne pas dire à Jean Baptiste qu’il monte des spectacles ! Dans l’épisode, il me détrompe sur le sujet : le Médiavivant raconte l’information, il ne la joue pas. D’ailleurs, JB lui-même n’a aucune formation de théâtre. Le choix de la mise en scène s’est plutôt imposé à lui comme un outil nécessaire pour pouvoir donner vie à ses articles et faire intervenir ses sources. La scène répond en effet bien à sa mission de rendre l’information accessible au plus grand nombre.
Pour y parvenir, il a néanmoins fallu retranscrire ses enquêtes en représentations scéniques. Le Médiavivant travaille pour cela avec des comédiennes qui ont la lourde tâche de coacher les journalistes qui vont monter sur scène. Leur expertise permet d’engager une discussion avec les journalistes et de co-construire l’article dans sa version vivante.
Le format écrit s’adapte en effet forcément aux codes de la scène. Il influence la manière dont la représentation est écrite, interprétée, le timbre de la voix mais aussi le storytelling et l’incarnation de l’information. Même si les membres du Médiavivant ne sont pas comédiens, ils apprennent à bouger sur scène, à interpeller le public, etc. Il faut aussi apprendre son texte (et donc le raccourcir et le rendre le plus oral possible).
Avec le Médiavivant, il y a donc un nouveau rapport à l’information qui se crée. Une volonté de réinventer les codes étriqués du journalisme dont on avait déjà discuté avec Charlie Perreau des Echos.
Pour Jean Baptiste, Internet a évidemment bouleversé le métier de journaliste. C’est d’autant plus vrai avec l’apparition des réseaux sociaux, où l’information est délivrée sous un format plus court et incarné. Même s’il n’est pas toujours à l’aise avec ces formats, il est nécessaire de s’en emparer pour mener l’information là où elle ne va pas encore. En tant que journalistes, il faut donc s’adapter à un mode de consommation qui change très vite. Pour lui, la scène n’est d’ailleurs qu’une solution parmi d’autres.
Le business modèle du Médiavivant réinvente lui aussi les codes traditionnels dû journalisme. Même si son budget est encore en construction, Jean Baptiste part du principe qu’il doit rester aussi accessible que possible. Ainsi, les entrées sont payantes, mais à un prix libre. Le Médiavivant va également bientôt lancer une campagne de crowdfunding qui lui permettra de se professionnaliser et de passer à l’étape supérieure. L’idée est ensuite de fidéliser les donateurs afin de garder son indépendance tout en s’adressant au public le plus large possible !
En matière de fonctionnement, le Médiavivant, c’est aujourd’hui une équipe de 60 adhérents bénévoles (et de quelques professionnels payés, comme les pigistes,les ingés son et les comédiennes). Côté stratégie, c’est Alix qui est au manettes, tandis que Jean Baptiste se charge de la ligne éditoriale et de l’administratif.
Pour le reste, tout vient du bas. Ce sont les bénévoles qui se mobilisent pour organiser les représentations. L’association regroupe d’ailleurs des profils très divers (des journalistes, professeurs, ou simplement les personnes rencontrées lors des premières enquêtes). Chacun apporte ses compétences et agit là où il le désire (pour organiser des débats horizontaux après chaque enquête, par exemple).
Il faut aussi distribuer les tracts (pour rester accessibles auprès des personnes qui ne sont pas sur les réseaux). Et lors des AG, les membres amis ont un droit de vote consultatif.
Le Médiavivant se voit comme un mensuel. Le but de ces représentations régulières est de créer une habitude, tout en s’assurant un ancrage territorial à Marseille. Une bonne pratique Marketing qui consiste à se concentrer sur sa niche. Puis de la fidéliser avant d’élargir son périmètre d’action et d’aller conquérir de nouveaux territoires.
Le Médiavivant s’est également donné pour mission de sensibiliser le public le plus large possible au journalisme. Il mène ainsi des ateliers d’éducation populaire auprès de deux lycées (notamment dans les quartiers nord de Marseille) et prochainement dans des centres de rétention avec l’association Urban Prod.
L’objectif est de suivre les jeunes pour qu’ils mènent leurs propres enquêtes sur scène. Et donc, d’amener des personnes éloignées des médias traditionnels à collecter et partager des informations vérifiées.
Pour s’adapter à eux, Jean Baptiste tient également compte de leurs habitudes de consommation de l’information. Les Réseaux Sociaux peuvent par exemple servir d’outil pour trouver des témoins. Mais il faut les approcher avec prudence, et tenir compte des dangers de désinformation ou de propagande qu’ils représentent.