Arnaud Care est Service Line Group Leader et Board Member chez Ipsos, la société internationale de marketing d’opinion. Au fil des années, il a théorisé une approche innovante du marketing, dite de « marketing réaliste ». Ce concept a notamment été popularisé à travers une tribune dans le magazine Stratégies.
À l’occasion d’une interview pour le podcast The Storyline, Arnaud nous partage les dessous de cette nouvelle approche du marketing responsable, qui révèle une profonde évolution dans les modes de consommation. Il donne aussi de nombreux conseils pour aider les marques à se réinventer !
Le sujet des marques a toujours passionné Arnaud. Plutôt que de se lancer dans la sociologie, il fait le choix d’étudier le marketing. Après une première vie professionnelle en agence de communication (chez Sofres puis Engel), il rejoint Ipsos en Suisse. L’occasion pour lui de travailler au côté de grandes marques dans le luxe, la pharmaceutique et l’agro-alimentaire. Il revient ensuite en France où il reprend la direction de l’expertise des marques, le plus gros pôle de l’institut.
Sa mission : suivre les marques dans tout ce qui concerne le tracking de leurs performances. Au cours de sa carrière, la nature des études a en effet beaucoup évolué. La base demeure, mais la méthodologie a été complétée pour ne plus suivre un plan stratégique, mais plutôt éveiller l’intuition. Les études marketing se doivent désormais de donner une vision réaliste du quotidien des consommateurs. Les marques ne se bornent plus à valider des idées préconçues, mais sont constamment poussées à changer d’avis.
C’est dans ce cadre qu’Arnaud signe une tribune interpellante dans le magazine Stratégies. Il y présente le concept de marketing réaliste. Il explique, selon lui, pourquoi malgré les prédictions de Naomi Klein dans “No Logo”, les marques n’ont pas disparu, mais sont au contraire devenues plus omniprésentes que jamais. En 20 ans, leur capital n’a cessé d’augmenter. Et désormais, la plateforme de marque représente l’asset le plus important des entreprises.
Alors, que s’est-il passé en 20 ans ? La marque a gardé la même fonction : celle de signifier par un logo l’appartenance à un groupe. Et donc, d’assigner aux produits des valeurs et bénéfices facilement identifiables.
Cette fonction est toujours cruciale, car le nombre de produits disponibles n’a cessé d’augmenter. Idem pour les canaux de distribution. Le consommateur a donc plus que jamais besoin de repères, d’autant plus qu’il questionne aujourd’hui le sens de ses achats. La marque est ainsi appelée à lui simplifier la vie et à enrichir sa réflexion !
Mais aujourd’hui, de nouvelles forces sont à l'œuvre et le storytelling des marques doit évoluer…
Désormais, au-delà de valoriser les produits d’une entreprise, le marketing se doit de :
Mais le réalisme en marketing va plus loin, jusqu’à endosser de nouvelles causes et valeurs de marque. En cela, les marques se rapprochent désormais de la politique. Elles entreprennent des actions bien réelles et plus proche du consommateur, comme Nestlé qui fait de la sensibilisation autour de l’alimentation dans les écoles. Des actions bien plus proches que celles qui consistent à replanter des arbres en Amazonie, ou d’autres promesses lointaines.
Arnaud prévient cependant : attention à ne pas trop s’éloigner de son positionnement de marque, comme on a pu le voir avec les entreprises accusées de greenwashing ou d’appropriation culturelle. Le marketing réaliste reste de fait une tendance, dans laquelle ne s’inscrivent pas encore toutes les entreprises ou que toutes ne maîtrisent pas.
Pour Arnaud, il n’y a pas de réelle volonté de mal faire, mais plutôt des maladresses dans l’introspection qu’entreprennent les marques. Pas facile en effet de réexplorer son passé et de trouver une adéquation entre ce que l’on peut faire et ce que l’on a toujours été !
Pour les marques entreprenant ou ayant réussi cette transition vers le marketing réaliste, cela implique aussi de profondes mutations structurelles.
Pour Arnaud, le plus important est le changement de leurs objectifs marketing et indicateurs de performance. Auparavant, les marques se concentraient beaucoup sur des indicateurs rationnels. Elles évaluaient ainsi sur une échelle de 1 à 10 la pertinence de leur offre ou la qualité de leurs produits. Désormais, elles s’intéressent bien plus à la proximité émotionnelle qu’elles ont réussi à créer avec leurs consommateurs. On a ainsi vu considérablement augmenter le poids de cette proximité émotionnelle dans les décisions d’achat.
Les marques doivent donc s’inscrire dans ce registre émotionnel et trouver leur place dans le quotidien des consommateurs si elles veulent survivre. Pour gagner cette proximité émotionnelle, il faut créer des valeurs fortes, consolider son bénéfice perçu réel. Mais au-delà de ces éléments, les entreprises doivent s’inscrire dans une certaine immédiateté. L’immédiateté des bénéfices qu’elle offre à ses clients, mais aussi celle de l’impact concret de ses valeurs et engagements.
Cela implique aussi une certaine constance dans le temps, indispensable pour créer de la légitimité et de la confiance. Les marques doivent ainsi s’approprier des valeurs qui leur correspondent. Pour des organisations jusque là très marketing ou ‘product-centric’, l’enjeu est d’aller vers un positionnement beaucoup plus centré sur le consommateur.
Le marketing a aussi désormais cette opportunité de participer à faire évoluer la société dans le bon sens. Pour Arnaud, il serait peut-être même temps de changer son nom tant la conscientisation d’impact et le rôle presque politique qu’endossent les marques a changé la discipline.
Le marketing se rapproche en effet presque de la sociologie. Plutôt que de regarder les consommateurs comme un segment à rationaliser, le marketing réaliste s’intéresse profondément à l’usage qu’ils font d’un produit, à leur vision des marques. Cela a des conséquences concrètes sur les outils utilisés pour monitorer le marketing. Fini le langage et les catégorisations très corporate. On s’intéresse maintenant à la perspective du consommateur. Comment utilise-t-il le produit, à quelle occasion et avec quelle perception ?
La richesse du marketing réaliste est donc de se faufiler dans la réalité du consommateur. Elle pourra ainsi la décoder plutôt que d’essayer de la changer.
Quoi qu’il en soit, Arnaud garde une vision très optimiste du marketing et de son renouveau. Les nouveaux outils, notamment l’IA et les algorithmes valorisent selon lui la fonction. Ils ouvrent surtout ses chakras et ses possibles. Il est en effet bien plus riche sur le plan créatif de s’adapter aux modes de consommation réels plutôt que d’appliquer une recette hors sol. Plutôt que d’enfermer nos prises de décisions, les outils du marketing réalistes valorisent l’intuition et la créativité…