#61 – Le pouvoir du storytelling pour créer un média

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Pour ce nouvel épisode de The Storyline, je vous propose de replonger dans l’univers du journalisme, dont j’aime toujours autant l’approche du storytelling. Cette fois-ci, je suis partie à la rencontre d’Anaïs Richardin, l’ex-Rédactrice en chef puis Directrice de Maddyness, le média dédié à l’entrepreneuriat et l’innovation.

Anaïs se livre au micro du podcast sur son parcours de journaliste et les coulisses de la création d’un média digital. Elle partage aussi les raisons qui l’ont amenée à quitter le journalisme en 2022, pour se tourner vers la fiction. Aujourd’hui, selon elle, cette dernière est peut-être le meilleur support pour informer et susciter des prises de conscience.

 

Comment lancer un média : le cas Maddyness 

Anaïs a toujours su qu’elle voulait écrire. Mais le journalisme n’a pas été une évidence pour cette lorraine qui a commencé sa vie professionnelle en tant que Conceptrice-rédactrice. Mais un jour, lassée d’écrire pour les marques, elle se redirige vers une école de journalisme et enchaîne au sortir de ses études avec un CDI pour le magazine Stratégies. De cette très belle expérience au sein d’un média B2B, elle garde de la rigueur et une certaine plume pour raconter des histoires.

Alors qu’elle commence à tourner en rond, elle est contactée en 2015 par les fondateurs de Maddyness, qui lui proposent le poste de Rédactrice en chef. Une proposition impossible à refuser quand on a 26 ans et la tête pleine d’ambitions. Anaïs se lance dans un véritable chantier. Car si Maddyness existe déjà en tant que blog et fédère plusieurs milliers de lecteurs mensuels, tout est à faire.

Elle doit notamment se créer une équipe et imaginer une ligne éditoriale qui soit à la fois compatible avec les ambitions de Maddyness (devenir une rampe de lancement pour les entrepreneurs français) et la rigueur journalistique dont elle a hérité.

Son rôle est donc de donner une impulsion journalistique au média digital de la Startup Nation. Un challenge excitant, qui la place dans une position plus entrepreneuriale que ses précédents postes et lui confère une très grande liberté.

 

Maîtriser les codes d’un média journalistique

 

La principale mission d’Anaïs lorsqu’elle arrive chez Maddyness est donc de donner au média les codes du journalisme. Des codes qui comprennent le format des articles, mais aussi la manière de s’adresser au lectorat. Fini le tutoiement et la complaisance pour les projets des copains. Même s’il est impossible d’être 100 % neutre, Anaïs casse le parti pris fort de Maddyness pour éviter de basculer dans la communication marketing.

Elle impose également un cahier des charges rédactionnel très précis. Pas plus d’une idée par paragraphe, et des moments de respiration pour ne pas perdre le lecteur dès la troisième ligne. C’est la toute la complexité de son rôle de Rédactrice en chef : faire prendre une sauce dans laquelle cohabitent des ingrédients très différents. Pour que ça prenne, elle doit réussir à créer de la proximité, sans tomber dans la familiarité.

Cette ligne éditoriale, il faut surtout la faire respecter par toute l’équipe. C’est en effet le contrat de confiance qui lie le média à ses lecteurs. Lorsqu’ils arrivent sur le site, ces derniers doivent savoir précisément ce qu’ils vont y trouver. Par exemple, et malgré les nombreuses sollicitations d’entrepreneurs francophones, Maddyness s’est toujours strictement cantonné à l’écosystème français.

Cette rigueur permet à Anaïs d‘avoir une ligne éditoriale cohérente, même si elle a beaucoup évolué par la suite (notamment pour offrir un visage plus varié de l’entreprenariat français). Elle l’aide aussi à sélectionner les articles à traiter, et sous quel angle le faire. Seul hic : une ligne édito forte ne lui permet pas d’être aussi créative qu’elle le voudrait.

 

Journalistes et entrepreuneurs : je t’aime moi non plus

 

Le “contrat” que représente la ligne éditoriale ne lie pas seulement Maddyness et ses lecteurs, mais aussi le média et les entreprises avec lesquelles il collabore. Très intransigeante à ce sujet, Anaïs rappelle à chacun de ses futurs partenaires qu’ils achètent avant tout une expertise éditoriale et une connaissance de la cible qu’ils veulent atteindre. Bref, l’exact inverse d’une publication de communiqué de presse ou d’un habillage publicitaire.

 

Si ce type de partenariats permet de servir les objectifs des entreprises comme des médias, il explique aussi un certain désamour entre entrepreneurs et journalistes. Pour les premiers, les seconds font en effet souvent figures de personnalités inatteignables, parfois un peu hautaines sur les bords. C’est qu’il devient en effet très difficile d’accéder à de la visibilité médiatique et à faire confiance aux journalistes dans leur traitement de l’info.

Pour les entrepreneurs qui souhaiteraient se faire repérer de manière organique (et se vendre sans tomber dans le too much), Anaïs partage de précieux conseils :

 

  • S’assurer que son message soit intéressant (et que l’objet de son mail soit ultra pertinent pour taper dans l’oeil du journaliste) ;
  • Ne jamais harceler son interlocuteur (surtout quand on sait qu’Anaïs pouvait recevoir jusqu’à 1 000 mails par jour) ;
  • Trouver la bonne personne à contacter (et ne pas envoyer son mail à toute la rédaction) ;
  • Choisir le bon canal et le bon moment. Un message privé sur l’Instagram perso de la Rédactrice en chef ou de n’importe quel journaliste à 22 heures du soir, c’est un carton rouge.
  • Personnaliser son message, pour montrer que l’on sait de quoi et à qui on parle.

Les leviers pour fédérer une audience

Après 7 ans chez Maddyness, Anaïs a construit un lectorat de plus de 600 000 visiteurs uniques par mois. Si la finesse de sa stratégie a beaucoup à voir avec cette explosion de l’audience, elle met surtout en avant le travail de son équipe, très investie (parfois trop) dans le développement de Maddyness.

Un autre levier déterminant pour fédérer les lecteurs, c’est de créer des rendez-vous éditoriaux récurrents. Maddyness propose par exemple chaque semaine un résumé des dernières levées de fonds. Mais si ce type de formats est très intéressant pour créer de la récurrence, il peut casser le périmètre créatif et mettre des oeillères aux journalistes. Pour éviter que leur travail ne soit trop mécanique, Anaïs les faisait changer régulièrement de format.

Anaïs nous partage un dernier levier pour booster la croissance de son média : l’innovation produit. La marque Maddyness est en effet montée en puissance de manière progressive en s’associant par exemple à tous les évènements de l’écosystème startup (plus de 400 par an). Mais aussi en créant une véritable nébuleuse de rendez-vous, de livres ou encore de cycles d’anticipation pour faire du média une référence incontournable.

 

L’aventure après Maddyness : du journalisme à la fiction

 

De son aventure chez Maddyness, Anaïs retient les changements graduels qu’elle a vu émerger au sein de la rédaction. Et notamment un tournant plus engagé pour montrer toute la diversité de l’écosystème startup et dénoncer les dérives managériales de certains de ces acteurs.

De Rédactrice en chef, elle a ensuite pris la direction générale du média. Une nouvelle casquette qui lui a permis de se dédier à la diversification des produits et à l’innovation.

Début 2022. Anaïs fait cependant le choix, comme beaucoup de journalistes, de quitter la profession. Face à une perte de légitimité qui frappe les journalistes (notamment en raison de la montée en puissance des fake news), elle décide de se consacrer à la fiction.

Finalement, après réflexion, elle réalise que raconter des histoires vraies ne l’intéresse plus, et que sa plume journalistique l’empêche d’être aussi créative qu’elle le souhaiterait. Son rapport aux médias a lui aussi complètement changé. Comme beaucoup, elle ne lit plus la presse quotidienne, trop anxiogène et délétère sur sa foi en l’humanité.

 

Informer grâce au storytelling


Plutôt que d’informer, Anaïs a donc fait le choix de raconter. Finalement, l’ambition est la même. Seul le médium change, mais il permet toujours de susciter des prises de conscience et de faire passer des messages.

Pour Anaïs, la fiction est même plus efficace pour toucher un large public et lui faire ouvrir les yeux sur des problématiques fortes et des enjeux de société. Une étude Reuters dévoile que les moins de 25 ans ne font plus la différence entre l’information et l’entertainment – une opportunité pour la fiction de briller et de s’engager ! 

Dans un univers où on ne sait plus qui croire ni écouter, il y a beaucoup de bonnes choses à tirer de demi vérités et d’univers fictionnels qui nous renvoient vers de nouveaux savoirs. Et qui ont surtout un pouvoir de transformation beaucoup plus important que la presse classique. L’audience potentiellement intéressée par un podcast sur le scandale lié au harcèlement mené par la société Teflon sera ainsi toujours moindre que celle de films hollywoodiens comme Don’t Look Up ou Stillwater.

 

Vous l’aurez certainement compris, je suis une grande fan de la posture d’Anaïs. J’ai été complètement chamboulée par sa perspective sur la fiction au service de l’information. Il y a beaucoup de choses à retenir de nos échanges, mais j’aimerais vous laisser sur la réflexion suivante. Miser sur le storytelling et raconter une histoire chargée d’émotions peut avoir beaucoup plus d’impact que le contenu traditionnel qui se borne à relayer l’information à son audience cible.

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