Laure Verdeau est la Directrice de l’Agence Bio. Cette agence française communique et agit à l’échelle nationale pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique.
Après un parcours classique (Science po et école de commerce), puis une carrière dans le conseil (dans le privé et chez Bpifrance), Laure a choisi de passer à l’échelle, pour porter plus loin ses valeurs en rejoignant l’Agence Bio, ou elle mange et parle bio “matin, midi et soir” – selon ses propres termes !
À l’occasion de son interview, Laure raconte au micro du podcast The Storyline l’explosion des labels privés, le chaos informationnel créé par les acteurs de l’agroalimentaire et de la mécompréhension autour du bio, mais aussi de sa stratégie pour communiquer à l’échelle nationale sur le sujet, avec un budget très limité.
Le label Bio fait partie de notre quotidien. On le voit en effet apposé sur une foule de produits de la vie de tous les jours ! Mais peu de gens savent ce qui se cache réellement derrière ce dernier… Il s’agit en effet du diplôme d’Etat de l’agroécologie : une garantie que le produit que l’on s’apprête à manger respecte un cahier des charges européen. Ce dernier étant composé de plus 300 pages – rien que ça !
Concrètement, d’après Laure, l’engagement pris par le Bio est de supprimer les produits chimiques de synthèse de notre agriculture. Cette contrainte forte (en matière d’élevage et d’agriculture) fait l’objet de contrôles surprises par des cabinets indépendants agréés par l’Etat.
Le problème, c’est que le label Bio peine à s’imposer face à la cacophonie et au storytelling des labels privés. Dans le commerce équitable, il en existe par exemple 9 différents. Or, ces labels sont souvent plus des arguments de marketing - pas très responsable au demeurant qu’autre chose ! En effet, relevant du privé, ne sont que très peu contraignants, et pas forcément contrôlés.
En l’état, comme me l’a expliqué Laure, en théorie, n’importe qui peut créer un label privé. Dans les faits, ce sont principalement les groupements de fabricants qui s’y aventurent. Et c’est parce que le “consommateur moyen” n’a pas le temps de lire le cahier des charges de chacun d’entre eux qu’il existe un label public, plus sécurisant.
Ces dernières années, le Bio a souffert de l’inflation, mais aussi et surtout de l’incompréhension. Première fausse idée reçue : son coût. On a en effet tendance à penser que les produits Bio sont plus chers. Cependant, à en croire Laure, c’est le contraire ! Le biologique serait moins touché par l’inflation, étant donné que contrairement à ces concurrents, il n’a pas subi la hausse des engrais synthétiques. Son vrai problème est donc plutôt de l’ordre de la perception…
Les consommateurs ne savent plus ce qu’est le Bio, pourquoi il est bénéfique (pour leur santé et celle de la planète) et surtout qu’il reste dans les faits accessible à tous. Résultat : cette incompréhension donne lieu à des arbitrages lunaires en rayon. Certains vont ainsi arrêter d’acheter Bio pour privilégier les produits locaux, alors que ces deux critères d’achat n’ont rien à voir.
Laure en profite d’ailleurs pour rappeler qu’une récente étude de la Fondation Jean Jaurès a montré que les produits dits locaux sont 40 % plus chers. De plus, le transport ne pèse que 20 % dans l’empreinte carbone d’un produit. Il est donc beaucoup plus vertueux de s’intéresser au mode de production qu’au kilométrage de ce que l’on mange. Mais malheureusement, le marketing et la communication n’encouragent pas à cette réflexion…
Avec un marché de plus en plus réduit et une forte baisse de la demande de Bio, le rôle de l’Agence Bio est de faire de l’évangélisation. Pour avoir des citoyens avertis et éviter qu’ils ne tombent dans le piège des messages publicitaires matraqués par les industriels, il faut selon Laure :
Cette évangélisation est d’autant plus importante que les groupes industriels n’ont pas de scrupules à s’approprier les symboles du Bio (ses couleurs et mots-clés, par exemple). Quitte à parfois tomber dans le greenwashing…
En plus de devoir éduquer une nation entière, Laure se retrouve donc avec la lourde tâche de contrôler le positionnement de concurrents qui servent des intérêts opposés aux siens.
Le principal problème que rencontre Laure pour mener cette mission à bien est, très pragmatiquement, le manque de budget. Face à des industriels qui peuvent mobiliser plusieurs dizaines de millions d’euros pour une campagne, l’Agence bio dispose d’un budget de moins de 500K. Son principal défi est donc de briser le silence autour du Bio.
Pour pallier cette contrainte, Laure a fait le choix de s’appuyer sur ses partenaires pour communiquer. Elle fait appel aux interprofessions, les filières de l’agriculture qui regroupent tous les maillages d’une chaîne de production. Quand la crise du bio s’est intensifiée, elle les a mobilisés pour pousser des messages positifs et encourager une communication engagée par tous ces acteurs.
L’agence se charge ainsi de produire des outils de communication généralistes. Puis chaque partenaire reprend les messages partagés en l’adaptant à sa filière. Cette stratégie de communication en mode guérilla est ultra efficace. Elle permet de démultiplier son message et lui offrir une caisse de résonance à travers différentes voix et canaux.
L’idée, c’est de donner à ses partenaires les outils et visuels pour communiquer de manière pertinente et cohérente. Cette posture de facilitateur va valoriser chaque partenaire en lui permettant de s’approprier le message, d’en devenir un relais, mais aussi de montrer à sa propre audience en quoi il contribue aux efforts du collectif.
En gardant en tête cette contrainte du budget, Laure fait le choix de diffuser son message à la radio et des affichages dynamiques en magasin (plus efficace pour s’imprimer sur la rétine des consommateurs). Elle collabore de plus avec Mediapilote pour adopter une stratégie locale et passer par les stations radio régionales.
Pour démultiplier la portée de sa campagne, mais aussi toucher de nouveaux buyer personas, elle investit aussi le terrain de jeu des “non Bio”. Au dernier salon omnivore, elle a ainsi obtenu un stand pour parler des engagements de l’agriculture biologique et mettre en avant des chefs qui utilisent le Bio tout en étant rentables.
Si cette stratégie de la caisse résonance permet de porter son message plus loin (même avec un tout petit budget), il pose aussi la question de la cohérence. Laure a par exemple dû batailler avec certains acteurs qui voulaient édulcorer le message. Ses conseils pour éviter au message de perdre en cohérence lorsqu’il est relayé :
Quand on lui demande ce qu’elle ferait avec le budget de ses concurrents, Laure se prend à rêver d’une fusée à plusieurs étages. Pour elle, il faut commencer par investir dans les écoles, faire en sorte que le Bio soit présent sur tous les événements ayant trait à ce que l’on mange, et partager des outils pratiques à des heures de grande écoute pour réduire le “green gap” comme elle le surnomme.
Bref, sa stratégie ne se limiterait pas à acheter de l’espace publicitaire. Elle ambitionne plutôt de segmenter sa communication pour toucher toutes ses cibles (les foyers, les cantines et les restaurants). Pour cela, il faut organiser ses messages de manière polyphonique en fonction de chaque public pour ne pas lui donner que des raisons de manger du bio, mais aussi et surtout des clés pour l’adopter au quotidien.